Victor Joskin, CEO et fondateur du Groupe il y a 55 ans, répond à quelques questions concernant ce projet d’investissement.
Pourquoi la construction de cette nouvelle usine ? Le but est-il de faire face à une augmentation de la demande ?
Le défi majeur actuel de JOSKIN réside dans la capacité de production : le Groupe doit parvenir à produire plus. Il s’agit non seulement de pouvoir fournir davantage de machines parmi les modèles existants, mais aussi de prévoir de la place pour les matériels en cours de développement, le but étant de pouvoir servir une clientèle toujours plus nombreuse à travers les quelque 60 pays que nous desservons régulièrement dans le monde. Cet objectif nécessite d’augmenter les espaces de production et de repenser le flux de fabrication. Notre projet d’usine dans le sud du Grand-Duché de Luxembourg est le premier d’une série de projets similaires qui doivent conduire le Groupe JOSKIN à disposer d’unités de fabrication et/ou d’assemblage dédiées et capables de maximiser la productivité en se concentrant sur des modèles de structure uniformisée.
Comment s’explique le choix du Luxembourg pour le développement d’une nouvelle usine ?
Coupons directement court à l’idée d’évasion fiscale. Le taux d’imposition des sociétés est un peu plus élevé au Grand-Duché et l’immunité fiscale éventuelle au cours des premières années n’est pas à portée d’un projet comme celui prêt à être déposé. Ce qui compte pour le Groupe JOSKIN, c’est avant tout de produire des machines pour tenter de satisfaire sa clientèle mondiale toujours plus nombreuse.
Pour pareils projets, il faut s’assurer de la disponibilité d’un terrain suffisamment spacieux, d’un environnement proche adapté, d’un bassin d’emploi approprié et d’un cadre d’accueil favorable, le tout aussi peu éloigné que possible du réseau logistique de l’entreprise, c’est-à-dire de ses flux de transport et des marchés visés par le produit. Après de nombreuses recherches, notre choix s’est finalement porté sur l’ancien site de la centrale à vapeur et à gaz Twinerg ayant été démantelé et assaini sous contrôle de l’état luxembourgeois. Situé dans l’ancien bassin sidérurgique, aux confins des communes de Sanem et de Esch-sur-Alzette dans le sud du Grand-Duché, ce lieu s’inscrit dans l’ensemble des critères nécessaires pour la viabilité du projet. Nous n’en avons pas encore trouvé d’autre en Europe.
La disponibilité de main-d’œuvre est également l’un des paramètres clefs dans le choix de cette implantation. Dans le bassin sidérurgique vieillissant du sud Luxembourg, il existe vraisemblablement une main-d'œuvre technique disponible. Mais si elle est insuffisante, le Grand-Duché de Luxembourg est aussi un pays attractif pour la main-d’œuvre étrangère ; les statistiques d’emploi en témoignent. Le taux des charges personnelles du salarié l’explique sans doute : le niveau du salaire poche par rapport au brut est très favorable. Selon un reportage de France Inter en mars 2019, les salaires seraient en moyenne 46 % plus élevés au Luxembourg pour les habitants du bassin nord-lorrain victime de la fin de la sidérurgie. Ces derniers seraient plus de 100 000 à traverser la frontière chaque jour, malgré les difficultés de déplacement. Un emploi à 10 minutes de bus de la gare d’Esch devrait donc attirer plus d’un soudeur, monteur, peintre, etc., que la sidérurgie a laissé sur le carreau. Et ce qui vaut pour les habitants de Rédange, Longwy ou Villerupt en France est sans doute également valable pour ceux de Athus, Aubange ou Messancy en Belgique. Certes, le début du démantèlement de la sidérurgie dans cette région est déjà loin, mais il reste une histoire, une mentalité, une appréciation et une fierté du travail technique qu’on ne trouve plus forcément ailleurs.
N’y avait-il pas de possibilités d’extension à Soumagne ?
Nos 5 sites actuels en Belgique, Pologne et France ne sont pas appropriés, principalement par manque d’espace. La situation est particulièrement critique à Soumagne en Belgique, où toutes les pistes étudiées patinent systématiquement. En outre, nous y connaissons une pénurie chronique de main-d’œuvre technique depuis 20 à 25 ans, et les mesures correctives tardent à intervenir. Attirer et engager du personnel étranger est un chemin de croix épuisant au résultat très improbable et aux lendemains qui déchantent : une fois la personne trouvée et formée, elle se fait débaucher pour quelques cents.
Que produira l’usine luxembourgeoise et quelle sera sa capacité ?
Le projet est spécifiquement conçu pour l’assemblage de remorques agricoles de grand gabarit à caisse monocoque, c’est-à-dire soudées d’un seul tenant. Nous commencerons par des bennes, puis lancerons rapidement aussi des épandeurs de fumier. L’un ou l’autre produit complémentaire pourrait venir se greffer selon le taux de productivité atteint. À terme, l’usine est calibrée pour atteindre un potentiel de 5 remorques par jour, mais le plan d’affaires est étudié sur une moyenne quelque peu supérieure à 4 unités quotidiennes. Cela peut paraître peu aux yeux d’un public non averti, mais il faut savoir que pour certains concurrents, pareil chiffre est celui d’une production mensuelle, voire annuelle ! D’ici 2027, si le projet prend un envol rapide, les remorques JOSKIN made in Grand-Duché de Luxembourg devraient être déjà au nombre de quelque 2 500 unités à parcourir les campagnes du monde !
Dans la conjoncture actuelle, l’investissement financier de ce projet correspond-il toujours à celui qui avait été estimé au départ ? Aviez-vous anticipé de potentielles augmentations ?
L’infrastructure de départ était évaluée à quelque 14,5 millions d’euros il y a 3 ans, mais nous avons récemment évoqué un montant grossier de 20 millions d’euros dans un magazine luxembourgeois pour chiffrer l’ensemble du projet. Entre-temps a en effet surgi la poussée inflationniste qui est impressionnante dans la construction. D’autre part, le plan a également dû évoluer, non seulement en matière d’études et équipements de sécurité, mais aussi en termes d’automatisation. Enfin, le chiffre global ne s’arrête pas aux murs et infrastructures principales. Il englobe les frais amonts d’étude et de transformation des flux visant à s’adapter à la nouvelle approche de fabrication dédiée et standardisée. Le coût global de cette unité de production est donc difficile à prévoir en ces temps chahutés, mais il est important d’insister sur le fait qu’il s’agit d’un investissement, et non d’une charge. Ce projet est crucial pour l’avenir de JOSKIN, c’est-à-dire pour chacun des membres du personnel du Groupe sur nos 5 sites de production actuels et chacun des distributeurs JOSKIN dans les 60 pays du monde que nous desservons régulièrement. En d’autres termes, ce degré d’incertitude ne freine pas notre volonté d’aller de l’avant.
Quel est le timing de la mise en fonction de cette nouvelle usine ?
Le dépôt des demandes de permis de construire et d’environnement a été retardé, notamment par diverses études spécifiques préalables. JOSKIN espère maintenant pouvoir compter sur une réaction diligente des autorités locales, et ainsi donner le premier coup de pelle en janvier 2023. Le projet ayant en effet déjà pris du retard à la suite de la crise sanitaire, JOSKIN compte sur le fait que les études conduites en phase préalable permettront d’accélérer la délivrance des permis. D’autant plus que les principaux équipements intérieurs de l’usine, à savoir les éléments de la ligne de traitement de surface, sont déjà en commande depuis un certain temps. Les reports d’installation sont susceptibles de coûter des indemnités de retard conséquentes. Or il faut attendre les permis pour commander le bâtiment et finaliser la possession du terrain. Appel est donc lancé aux administrations !
JOSKIN compte ensuite sur un chantier rapide, de sorte que l’usine puisse démarrer ses activités au 4e trimestre 2023, idéalement dès octobre. En vitesse de croisière, c’est-à-dire après plusieurs exercices, l’effectif pourrait atteindre une centaine de personnes (essentiellement des monteurs et soudeurs) selon le niveau d’automatisation qui sera mis en œuvre. JOSKIN prévoit effectivement une organisation de montage juste-à-temps utilisant un circuit d’assemblage multiposte à la base de chariots télécommandés par réseau Wifi ou Bluetooth. La montée en puissance sera donc progressive.
Cette nouvelle usine remet-elle ou non en cause les activités d’une partie ou de la totalité des autres sites, dont Soumagne ?
Nous ne savons pas encore exactement jusqu’où cette nouvelle approche va nous mener, mais notre expérience personnelle au cours des 25 dernières années montre qu’extensions à de nouveaux sites et automatisation accrue n’ont jamais été synonymes ni de diminution d’activité sur un site quelconque, ni moins encore de réduction de personnel, bien au contraire. Les unités d’assemblage actuelles tournent déjà plein pot et ne pourraient pas accueillir une production supplémentaire. Nous pouvons cependant augmenter les séries de fabrication de sous-ensembles et accessoires dans les unités de mécanosoudure. Le but est l’augmentation de la productivité, synonyme de prix de revient limité, d’où une meilleure compétitivité.
Quel sera l’impact de cette nouvelle usine sur le nombre d’effectifs du Groupe JOSKIN ?
L’emploi moyen actuel du Groupe JOSKIN s’élève à 880 employés, dont 415 sont occupés en Belgique, essentiellement à Soumagne, mais aussi à Andrimont. L’évolution de l’emploi y dépendra des possibilités d’espaces d’expansion qui seront offertes à JOSKIN et des solutions qui seront mises en œuvre par l’environnement sociopolitique pour pallier le défi de la main-d’œuvre technique. JOSKIN prévoit un staff global de 1 100 à 1 200 personnes à horizon de 5 ans, dont une centaine pour le projet luxembourgeois, comme déjà évoqué.